Agir pour le vivant

L’effet papillon de l’agriculture conventionnelle

L’effet papillon de l’agriculture conventionnelle

par Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis

Abeilles sauvages, papillons et syrphes disparaissent en silence. Pour enrayer le déclin dramatique de ces butineurs sauvages, la mise en place d’un plan de transition vers l’agroécologie est une urgence absolue.
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(Michel Vialle/Saif images)

Si l’abeille à miel est devenue le symbole de la pollinisation, elle n’est en réalité qu’un des membres, certes illustre, d’une immense famille : celle des indispensables insectes butineurs. Osmies rousses et cornues, bourdons des prés, mégachiles découpeuses de feuilles, abeilles charpentières, cotonnières ou abeilles des sables, anthophores plumeuses, eucères à longues antennes – mais aussi papillons, syrphes, coléoptères… Ce petit peuple bigarré et méconnu participe jour et nuit au grand ballet de la pollinisation, dans les champs, les vergers, les sous-bois, les landes et les prairies, permettant ainsi la formation des fruits et des graines et la reproduction des plantes à fleurs sauvages et cultivées.

Ces précieuses bestioles sont donc nécessaires à l’équilibre du vivant et à une très grande partie des cultures destinées à notre alimentation. Pourtant, elles sont peu étudiées individuellement et s’éteignent en silence. Depuis dix ans, des études montrent cependant que, dans leur globalité, les pollinisateurs et les insectes font face à un déclin extrêmement rapide, sans précédent.

Les chiffres sont effroyables. On savait que plus d’un tiers des espèces de papillons européens étaient en déclin brutal, avec une chute de 39% depuis 1990. Mais des études récentes ont révélé l’impensable : dans les zones protégées d’Allemagne, la masse des insectes ailés a diminué de plus de 76% en moins de trente ans, un chiffre extrapolable à l’ensemble de l’Europe, selon les chercheurs. Dans la région Rhénanie-du-Nord-Westphalie, les populations de syrphides, une grande famille regroupant plus de 500 espèces de mouches avides de nectar et essentielles à la pollinisation, ont diminué de 84%. En Bavière, les trois quarts des espèces d’abeilles sauvages ont disparu en seulement dix ans. Un tiers des espèces d’abeilles de Belgique sont menacées d’extinction et 45,6% des espèces de bourdons européens sont en déclin…

 

Cet anéantissement vertigineux, en quelques décennies seulement, d’insectes ayant coévolué avec les plantes à fleurs pendant cent cinquante millions d’années, fait craindre des répercussions dramatiques sur la biodiversité et l’agriculture. Qui mieux que le bourdon peut faire vibrer les fleurs de tomates pour en libérer le pollen ? Comment assurer la reproduction de très nombreuses plantes dont les fleurs ne s’ouvrent que la nuit, sans papillons nocturnes pour les butiner ? A quoi ressembleraient nos contrées sans les près de 1 000 espèces d’abeilles sauvages, particulièrement délicates avec les fleurs, mobiles et poilues à souhait pour fixer leur pollen ? Il faut la longue trompe du sphinx colibri pour récolter le nectar de certains tubes profonds et des syrphes légers pour polliniser les petites fleurs délaissées par les abeilles à miel et les plus gros insectes.

Pourtant, notre modèle agricole est en train de détruire ce riche et incontournable maillon de notre biodiversité européenne. Car les causes de ce déclin accéléré sont bien connues, et parfaitement réversibles. L’agriculture conventionnelle, mise en œuvre depuis les années 60, est un rouleau compresseur pour la nature : monocultures, emploi systématique de pesticides, arrachage des haies, artificialisation des sols… Ces pratiques tuent les insectes et font disparaître leurs habitats et leurs sources d’alimentation. De surcroît, on découvre aujourd’hui que le recours immodéré aux pesticides depuis des décennies engendre une contamination diffuse de tous les milieux, même ceux que l’on croyait protégés.

 

Imprégnant les tissus des plantes cultivées et sauvages, le sol, les poussières, l’air et l’eau, ces molécules chimiques persistent dans l’environnement, s’y accumulent, formant entre elles des cocktails toxiques. Ces substances sont commercialisées avec des protocoles d’homologation déficients qui n’évaluent pas les risques réels que chacun de ces produits fait peser sur les milliers d’espèces de pollinisateurs sauvages, comme les 80% d’abeilles solitaires qui nichent dans les sols…

Il existe en théorie une limite maximale de résidus pour chaque substance. Mais personne ne contrôle si ces seuils formulés en laboratoire sont dépassés ou non dans la nature. L’une des rares études menée sur ce sujet en France et publiée en janvier montre que 100% des sols étudiés – champs traités et non traités – contiennent au moins un des pesticides recherchés. Dans 90% des cas, les sols contiennent un mélange d’au moins un insecticide, un fongicide et un herbicide, et dans 40% des cas de plus de dix pesticides différents. En 2015, une étude sur les eaux de surfaces de 16 pays de l’Union européenne indiquait déjà que, dans les deux tiers des sites étudiés (68,5%), la concentration de pesticides excède les niveaux réglementaires – jusqu’à 30 fois la limite autorisée.

 

Tout en décimant les pollinisateurs, irremplaçables auxiliaires des cultures, les géants de l’agrochimie et de l’agro-industrie, avec l’accord tacite des autorités censées protéger les citoyens, continuent de bloquer toute évolution du système agricole et menacent notre sécurité alimentaire et l’ensemble du vivant. Pour enrayer le déclin dramatique des butineurs sauvages, la mise en place d’un plan de transition vers l’agroécologie est une urgence absolue.

Partout en Europe, des agriculteurs innovants cultivent déjà une nourriture saine, sans intrants chimiques de synthèse, avec des rendements toujours plus élevés, tout en respectant les pollinisateurs et la nature. Gageons que les citoyens, qui financent indirectement le système actuel à coups de milliards d’euros (aides de la Politique agricole commune, dépollution de l’eau…), préféreraient accompagner tous les agriculteurs qui les nourrissent vers ce nouveau modèle agricole, plus résilient et durable.

Nicolas Laarman est délégué général de Pollinis, association loi 1901 qui agit pour stopper l’extinction des abeilles et des pollinisateurs sauvages, et pour une agriculture durable.
 

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