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Le gobemouche et la COP26

Le gobemouche et la COP26

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’études biologiques de Chizé

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet. Aujourd’hui, l’impact des changements de climat sur la faune sauvage.
 
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Alors que la COP26 s’achève, avec peu d’espoir pour une transformation véritable de nos modes de fonctionnement, revenons sur les climats du passé et leurs impacts sur la faune sauvage. Nous vivons dans l’ère quaternaire, commencée il y a 2,58 millions d’années ; une paille à l’échelle de l’histoire de la Terre, mais une période au climat particulièrement tourmenté : pas moins de 50 oscillations climatiques de diverses ampleurs et durées, et entre 8 et 10 glaciations rien qu’au cours des derniers 800 000 ans. Bien des espèces que nous côtoyons, y compris les plus petits des oiseaux, existaient déjà il y a des millions d’années. Je trouve absolument fascinant qu’ils aient traversé toutes ces crises, en s’adaptant à des températures et des paysages fortement transformés.

C’est ce que montrent des collègues au fil d’une étude récente menée par Vera Warmuth de l’Université de Munich (1). Les scientifiques se sont intéressés à la génétique du gobemouche noir, un passereau d’une dizaine de grammes, plus petit que ma main, qui niche dans les forêts, les parcs et les jardins en Eurasie, se nourrissant d’insectes. L’équipe de recherche a déterminé les mutations de l’ADN pour différentes populations de gobemouche, de l’Espagne à la Norvège. La fréquence de ces mutations leur a permis de dater le moment précis au cours duquel ces populations se sont séparées les unes des autres. Ils ont constaté que ces divergences correspondent étroitement à des évènements climatiques majeurs, notamment des fluctuations de températures globales dépassant parfois la dizaine de degrés.

Ce fut le cas il y a approximativement 130 000 ans, avec une période abrupte de refroidissement qui transforma les forêts européennes en toundra et mis à mal les populations de gobemouches. A la fin de cet épisode, il y a environ 110 000 ans, les gobemouches ont recolonisé les espaces à nouveau habitables, avec des populations distinctes en péninsule ibérique par rapport au reste de l’Europe. Cette différenciation ancienne des gobemouches ibériens est surprenante, car on pensait jusqu’alors qu’elle n’était apparue qu’après la toute dernière glaciation, il y a une dizaine de milliers d’années. Comme me le confirme Jacques Blondel, spécialiste de l’évolution des oiseaux au CNRS «la biodiversité d’aujourd’hui est un héritage des oscillations climatiques qui ont ponctué les deux derniers millions d’années. L’étude de Warmuth et collègues a le grand mérite de préciser le tempo et le mode de cette différenciation à l’aide d’un exemple précis».

 

Les gobemouches de ma région passent actuellement l’hiver en Afrique subsaharienne et je ne peux les interroger sur les gesticulations de la COP26. Il est fort probable que le réchauffement en cours va, à nouveau, transformer leurs aires de répartition et affecter leurs tailles de populations. Des études récentes montrent qu’il chamboule d’ores et déjà leur migration, les contraignant à rentrer en Europe une dizaine de jours plus tôt (2). Dans leurs zones de nidification, ils retrouveront des paysages dévastés par l’agriculture intensive et la foresterie moderne, où les insectes essentiels à leur survie se font rares.

(1) Warmuth, Vera M., et al. (2021) «Major population splits coincide with episodes of rapid climate change in a forest-dependent bird». Proceedings of the Royal Society B. 288.1962 : 20211066.

 

(2) Helm, Barbara, et al. (2019) «Evolutionary response to climate change in migratory pied flycatchers». Current Biology 29.21 : 3714-3719.

 
 
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