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L’hibernation du lérot, histoire à dormir debout

par David Grémillet,  directeur de recherche CNRS au Centre d’études biologiques de Chizé

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet. Aujourd’hui, le mystère des énigmatiques réveils des lérots, en pleine hibernation.
 
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Quand le lérot hiberne, sa fréquence cardiaque est de trois battements par minute, au lieu de 300 en plein été. (Régis Cavignaux/Biosphoto via AFP)

Je viens de découvrir qu’un lérot hiberne dans ma remise, enroulé sur lui-même. Un nid de végétaux le protège quelque peu du monde extérieur, pas de la froidure. Tout son organisme fonctionne au ralenti, avec une température interne de quelques degrés et une fréquence cardiaque de trois battements par minute, au lieu de 300 en plein été. Cette torpeur lui permet de brûler ses réserves à tout petit feu. D’octobre à mars, le mammifère au masque de Zorro subsiste ainsi grâce à la graisse accumulée l’été en dévorant insectes, escargots, œufs et fruits.

Mais cette léthargie n’est pas continue : tous les dix jours en moyenne, le lérot se réveille pour une demi-journée, sans nécessairement manger ou boire, puis replonge en torpeur. Quelle est la fonction de ces épisodes ? Ils doivent être essentiels pour la survie du lérot, car ils absorbent à eux seuls 70% de sa dépense énergétique hivernale. En effet, lors de chaque réveil, le métabolisme du petit animal revient à la normale pour s’effondrer à nouveau, comme on allumerait un grand feu de cheminée pour ne garder que quelques braises par la suite.

Température élevée et réveils fréquents

L’affaire est mystérieuse. Afin d’y voir plus clair, Thomas Ruf et ses collègues de l’université de médecine vétérinaire de Vienne (1) ont élevé deux douzaines de lérots, qui ont naturellement hiberné. Pendant leur torpeur, les chercheurs ont mesuré leur température interne, ainsi que leur consommation d’oxygène. Cette seconde mesure permettait d’estimer la dépense énergétique à chaque instant, tout au long de l’hiver. Les scientifiques ont trouvé que plus la température des lérots était élevée pendant leur léthargie, plus ils consommaient d’énergie, et plus leurs réveils étaient fréquents.

Pour les auteurs, ces évènements ne seraient donc pas déterminés par une horloge interne fixe et aveugle aux conditions d’hibernation des lérots. Ils seraient plutôt déclenchés par des signaux physiologiques, liés à leur métabolisme. «Le problème, c’est que nous ne connaissons pas la nature exacte de ces signaux», admet Thomas Ruf. Il propose néanmoins une hypothèse fascinante : les lérots, et d’autres hibernants comme les ours, se réveilleraient régulièrement afin que leur organisme puisse produire des molécules essentielles à leur survie, qui ne sont pas synthétisées pendant leur léthargie.

Enigme non résolue

En effet, on sait que l’hibernation peut supprimer la synthèse de certaines enzymes nécessaires au bon fonctionnement du système cardiovasculaire. De la même manière, il est probable que seul le mammifère éveillé produira les molécules permettant le maintien d’un système immunitaire opérationnel.

Etienne Challet, spécialiste de chronobiologie au CNRS, temporise cependant : «Les auteurs identifient un lien entre la durée des épisodes de torpeur et la consommation d’oxygène des lérots, mais ceci ne démontre pas une relation de cause à effet. L’hibernation mouvementée des lérots demeure une énigme, qui n’est pas résolue par cette nouvelle étude.»

Alors que nous vivons le réveillon le plus chaud de l’histoire en France, je m’inquiète pour le lérot qui roupille dans ma remise. Une température plus élevée entraînera-t-elle des réveils plus fréquents ? J’ai laissé quelques noix traîner dans les parages, à toutes fins utiles.

 
David Grémillet est directeur de recherche CNRS au Centre d’études biologiques de Chizé (CNRS-La Rochelle université). Chaire d’excellence Nouvelle-Aquitaine.
(1) Ruf, T., Gasch, K., Stalder, G., Gerritsmann, H., & Giroud, S. (2021). An hourglass mechanism controls torpor bout length in hibernating garden dormice. Journal of experimental biology, 224 (23), jeb243456.
 
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