par Pierre Dubreuil, directeur général de l’Office français de la biodiversité
Former des citoyens éclairés et actifs pour la biodiversité : une nouvelle exigence pour l’école républicaine.
Deux enfants de l’école primaire de Gèdre lors d’une sortie dans le cirque de Troumouse, dans les Hautes-Pyrénées, en juin 2021. (Lilian Cazabet/Hans Lucas via AFP)
Si certains pays comme l’Inde ou l’Australie le vivent depuis plusieurs années, cet été la France est entrée dans l’anthropocène perceptible et sensible. Aucun Français ne peut plus ignorer que des changements pour maintenir l’habitabilité de la planète et celle de son propre territoire de vie sont urgents et nécessaires. La biosphère nous montre ses limites et les nôtres. Il nous faut les accepter et redéfinir nos modes de vie.
Les scientifiques du Giec et de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) le martèlent, il n’est pas trop tard pour agir. A la lumière des événements tragiques de cet été, en France et ailleurs dans le monde, leurs recommandations sonnent comme des évidences : face à la crise écologique, nos sociétés doivent engager sans tarder des changements transformateurs, c’est-à-dire «la réorganisation fondamentale, systémique, des facteurs économiques, sociaux, technologiques, y compris les paradigmes, les objectifs et les valeurs».
Dans le contexte des limites planétaires, ces recommandations nous invitent à réexaminer la mise en œuvre de nos principes républicains.
Liberté, égalité, fraternité… sobriété : nos principes républicains à l’épreuve des défis environnementaux
La gestion et l’usage que nous devons désormais faire des biens communs que sont l’eau, l’air, la régulation du climat activée par les écosystèmes, les océans et les ressources que nous consommons, la nature dans laquelle nous pratiquons nos loisirs … Tout doit être repensé à l’aune d’une nouvelle solidarité avec le vivant, d’une fraternité repensée qui doit redéfinir le lien et la relation de l’homme avec la nature.
Comment aborder l’égalité dans une société où quelques-uns dévorent la planète sans vergogne alors même que le plus grand nombre (toujours croissant) peine à répondre aux besoins essentiels ? Qu’est-ce qu’une vie heureuse et sobre pour tous ? Notre bien-être commun ne passe-t-il pas par la santé pour tous, celle de tous les humains mais aussi celle des écosystèmes et des non-humains ? Comment repenser l’exercice de la liberté dans les limites d’un monde fini rongé par l’érosion des milieux naturels et l’extinction des espèces ?
La biodiversité, fondement méconnu de nos sociétés
La biodiversité est le fondement même du bien-être de nos sociétés humaines. Sans le savoir, nous dépendons d’elle et nous sommes une de ces caractéristiques. Il est nécessaire de repenser notre relation au vivant, de la ménager plutôt que l’aménager. Pour nous ménager nous-même.
Mais s’il faut agir ici et maintenant, il est essentiel de préparer les générations futures à un avenir incertain. Pour cela, nos sociétés ont besoin que les citoyens détiennent le composant d’une culture de la nature, de connaissances et de pratiques qui leur permettent de faire face.
Afin d’être en mesure de répondre aux crises de l’anthropocène, il faut agir pour que cette culture et ces pratiques soient appropriées par le plus grand nombre, aujourd’hui et dans les décennies à venir.
Au-delà de l’éducation à l’environnement, former tous les citoyens de demain
Si l’ensemble des composantes de la société a un rôle à jouer, l’école républicaine et les acteurs du monde de l’éducation en ont évidemment un tout particulier : préparer les générations futures à devenir des citoyens aptes à faire face aux crises écologiques et à inventer les modes de vie désirables dans le cadre de nos institutions.
L’OFB (Office français de la biodiversité), avec ses partenaires, déploie depuis 2016 les Aires éducatives à partir d’un concept imaginé par des écoliers marquisiens dès 2012 (une aire éducative est une petite zone sur le littoral ou à l’intérieur des terres dont on confie la gestion à des élèves). De huit aires éducatives en 2016 nous sommes passés à plus de 1 100, impliquant des élèves de l’école primaire et des collèges. Nous allons bientôt expérimenter l’ouverture du dispositif aux lycées.
Ce projet pédagogique permet aux enseignants de faire l’école autrement et d’aborder toutes les disciplines, les mathématiques, le français, la géographie, le dessin, les sciences etc. différemment. Faire l’école dehors, c’est se connecter à la nature, apprendre à changer son regard, observer l’environnement, découvrir les enjeux et les acteurs du territoire, rendre perceptible l’invisible et découvrir les savoirs locaux.
Accompagnés par leurs professeurs et les partenaires associatifs et scientifiques du projet, les élèves prennent des décisions collectivement au sein du conseil de la mer ou du conseil de la terre, ils apprennent à argumenter, à délibérer, à voter… Ils se dotent d’une culture de l’exercice de la démocratie. Ils deviennent des écocitoyens, c’est-à-dire des individus devenus eux-mêmes, conscients des enjeux de la préservation de la nature et acteurs de l’histoire collective.
Modestement, mais avec détermination, les aires éducatives sont ainsi une contribution pour aider les jeunes à appréhender leur vie dans l’anthropocène, et à changer en profondeur notre relation au monde vivant.