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Un œuf congelé pour l’hermine

Un œuf congelé pour l’hermine

par David Grémillet, (depuis le Groenland), directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé

Comme chaque année depuis 2004, notre équipe du CNRS et de l’Institut polaire français Paul-Emile-Victor est installée sur la côte est du Groenland, à Ukaleqarteq, pour y étudier les animaux (4/6). Aujourd’hui, la délicate survie de l’hermine, habitante à l’année de l’Arctique.

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Avec un filet adapté et accroché à l’arrière de leur embarcation, Julien et Barbara rament durant 3 fois 30 minutes pour récupérer des traces potentielles de microplastique en suspension dans l’eau. (Quentin Hulo/Agence Zeppelin)

Elle se matérialise, puis disparaît dans la même seconde. Seule la persistance rétinienne me permet d’enregistrer sa présence : l’hermine est de retour, après quelques années d’absence. Elle virevolte entre les rochers comme une fouine miniature dopée aux amphétamines, puis s’immobilise pour nous scruter à bonne distance. Ses yeux sont noirs comme des billes, sa tête et son dos châtain, son ventre crème (un pelage qui vire au blanc durant l’hiver, cf. photo ci-dessus).

Avec à peine 150 grammes, l’hermine est le plus petit carnivore du Groenland. Au contraire des oiseaux migrateurs qui fuient l’hiver arctique, elle survit toute l’année dans cette contrée hostile. Sa stratégie est celle d’une voiture de course gourmande en carburant : vitesse maximale, associée à un métabolisme phénoménal et à un appétit féroce. L’hermine gobera ainsi l’équivalent d’un quart de son poids en nourriture, chaque jour. Rien de plus simple en plein été, quand nous la voyons sillonner la colonie d’oiseaux marins. Ceux-ci nichent à l’abri des renards et des goélands, sous les pierres, mais l’hermine se faufile partout. Les oiseaux n’ont aucune chance ; elle leur broie la nuque jusqu’à ce que mort s’ensuive. Une fois rassasiée, elle passe le reste de la journée à chaparder des œufs et des petits poussins, pour remplir un garde-manger sous une barre rocheuse. Elle a aussi fondé famille non loin de là, et souffle un air courroucé quand nous approchons de sa tanière.

Les hermines sont rares sur notre site d’étude, alors que les centaines de milliers d’oiseaux marins présents l’été pourraient nourrir des dizaines de petits carnivores. Perplexe, j’interroge Olivier Gilg, fin connaisseur de l’Arctique affilié à l’université de Bourgogne Franche-Comté : «En hiver, la colonie d’oiseaux marins est déserte. Les poussins, et surtout les œufs congelés des garde-mangers doivent être très durs à consommer pour les hermines. Elles se nourrissent parfois de lagopèdes (1) ou sur des carcasses de bœufs musqués, mais beaucoup ne doivent pas survivre jusqu’au printemps. Ceci explique peut-être leur présence sporadique sur ton site d’étude.»

 

Mais l’hermine a parfois mieux à faire que de sucer des sorbets aux oiseaux marins dans la nuit polaire. En galopant quelques dizaines de kilomètres vers le nord, elle entre en territoire lemming. Ces petits rongeurs, eux aussi actifs toute l’année, construisent nids et galeries sous la neige hivernale. L’hermine n’a qu’à suivre ces labyrinthes pour se régaler. Elle colonisera aussi volontiers les nids des lemmings qu’elle aura dévorés, améliorant leur isolation en les tapissant avec les poils de ses victimes.

Cette stratégie sera gagnante en présence de nombreux lemmings, mais, de manière désormais célèbre, ces populations de rongeurs s’effondrent régulièrement (2), causant disette et mort chez les hermines. Au cours de ces terribles hivers sans lemmings, les hermines qui ont choisi de survivre tant bien que mal en mangeant œufs et poussins congelés, sont gagnantes.

David Grémillet est directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé – CNRS / La Rochelle Université. Chaire d’Excellence Nouvelle Aquitaine.
(1) Aussi appelés «perdrix des neiges».

(2) Tous les quatre ans au Groenland Est.

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