Oiseaux marins et tempêtes tropicales : voyage dans l’antre du dragon

Oiseaux marins et tempêtes tropicales : voyage dans l’antre du dragon

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. Aujourd’hui, les surprenantes techniques de survie des puffins durant le passage des typhons.

Fin septembre, le typhon Noru dévaste une partie des Philippines, puis du Vietnam. Avec des vents à plus de 250 km/h générant des vagues de 15 m dans les régions côtières, il devient la tempête la plus puissante de l’année 2022. Ce type d’événement climatique extrême sera de plus en plus fréquent et violent suite au réchauffement climatique, avec un pouvoir de destruction bien connu en milieu terrestre.

Mais que se passe-t-il en haute mer, sur le passage d’une tempête tropicale ? Les images fournies par les satellites nous renseignent sur la course folle des vents, pas sur le comportement des animaux marins. Même les plus endurcis des scientifiques n’étaient pas volontaires pour prendre la mer en plein typhon, afin de savoir où se cachent les oiseaux, poissons et crustacés. Peu téméraires mais astucieux, ils ont fixé des appareils électroniques miniaturisés sur certaines espèces, révélant ainsi des comportements étonnants.

Ces nouvelles technologies ont notamment permis à Emmanouil Lempidakis et Emily Shepard (Université de Swansea au Pays de Galles) d’étudier le vol des puffins leucomèles (1), en collaboration avec des chercheurs des universités de Leeds (Angleterre) et de Nagoya (Japon). En mer du Japon, l’équipe a suivi tous les mouvements de ces oiseaux marins grâce à des petits GPS scotchés pour quelques jours sur leur plumage (2). Entre 2008 et 2018, 55 d’entre eux ont été exposés à de violentes tempêtes, dans cette zone réputée comme la plus tumultueuse de la planète. Pour chacun de ces événements, les scientifiques ont pu superposer les cartes détaillant la trajectoire des dépressions, et celles des oiseaux voyageant à proximité.

 

Alors que des études précédentes suggéraient la fuite des animaux marins devant les tempêtes, les scientifiques ont vu les puffins s’éloigner de la côte japonaise, pour voler droit vers l’œil du typhon. Une fois dans l’antre du dragon, ils ont surfé les vents en attendant patiemment une accalmie, des heures durant. «J’ai trouvé incroyable que ces oiseaux volent vers l’œil du typhon» note Emily Shepard «Le fait qu’ils opèrent dans ou près des vents les plus forts était complètement inattendu

Les auteurs de l’étude pensent que les puffins choisissent cette stratégie risquée par manque d’alternatives : les typhons, une fois formés, peuvent couvrir toute la mer du Japon. En restant près des côtes les oiseaux risqueraient de percuter arbres et falaises, ou d’atterrir au milieu des terres et d’être attaqués par rapaces et corneilles.

Reste à savoir comment les oiseaux marins anticipent l’arrivée des dépressions. Ils perçoivent probablement les changements de pression barométrique à leur approche, peut-être même les sons de très basse fréquence générés par les mouvements distants de l’océan. Pour rejoindre l’œil du typhon, ils naviguent alors en fonction de l’orientation des vents et grâce à une sensibilité innée au champ magnétique terrestre qui leur tient lieu de compas.

Comme le souligne Manon Clairbaux de l’université de Cork en Ireland, «ces résultats sont extraordinaires ; il est tellement rare d’avoir accès aux comportements des animaux pendant de telles tempêtes. Je me demande néanmoins comment se comportent d’autres oiseaux marins tels que les macareux. Avec leurs petites ailes, ils semblent plus aptes à la plongée en eau profonde qu’au kitesurf.»

(1) Le puffin leucomèle (Calonectris leucomelas) est un oiseau marin du Pacifique, pesant approximativement 500 g pour 1,2 m d’envergure. Grand voyageur adepte du vol plané, il se nourrit principalement de petits poissons et de calmars capturés près de la surface de l’océan.
(2) Lempidakis, E., Shepard, E. L., Ross, A. N., Matsumoto, S., Koyama, S., Takeuchi, I., & Yoda, K. (2022). Pelagic seabirds reduce risk by flying into the eye of the storm. PNAS.
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