Dans les bras du poulpe, champion de la résilience aquatique

« L’ALBATROS HURLEUR ». Dans les bras du poulpe, champion de la résilience aquatique

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. Aujourd’hui, les étonnantes capacités d’adaptation des céphalopodes.

Les bras des pieuvres communes (Octopus vulgaris) peuvent mesurer jusqu’à 1 mètre de long. (A. Martin UW Photography/Getty Images)

Ile de Groix, une fin d’été 2022. Au large de la Bretagne, les eaux côtières approchent les 20 °C, deux degrés deplus que dans un passé récent à cette saison. Entre les algues et sous les rochers, bien peu de poissons ont résisté à la canicule marine et aux pêches des touristes. En plongée, j’inspecte longuement ce paysage dépeuplé. Alors que je m’apprête à nager vers la rive, je tombe sur Jack le poulpe, qui aussitôt m’aveugle par sa beauté souple et ses yeux globuleux. Jack change de couleur et mime le chatoiement de la lumière sur la roche recouverte d’algues. Il se pense ainsi invisible, et je me demande comment il a échappé aux fusils harpons deshordes estivales. Il est vrai que les populations de pieuvres sont abondantes depuis deux ans, pour des raisons encore mystérieuses.

Jack le poulpe apparaît ainsi comme le champion de la résilience aquatique, dans des océans qui partent ensucette. Son cycle de vie court et sa croissance rapide y sont certainement pour beaucoup, avec une agilitéincroyable qui lui permet de capturer des proies très variées. On ignore toujours comment le système nerveux central coordonne les mouvements des huit bras du poulpe, mais une étude récente perce certains de ses secrets (1).

A l’université du Minnesota, Flavie Bidel et ses collègues ont filmé les attaques de pieuvres sur des crabes etdes crevettes. Selon la chercheuse, «Au début, rien ne semble organisé chez un poulpe : les mouvements des huitbras ont l’air incontrôlés et bizarres.» Etudiées au ralenti, les vidéos révèlent pourtant que le prédateur adapteson comportement à la proie rencontrée : les attaques visant les crevettes, très réactives, sont prudentes, alorsque les crabes, plus lents, sont poursuivis de manière frontale. Pour saisir sa proie, le poulpe déploie ses brasen séquence, ou bien par paire, ou encore tous ensemble au cours de la manoeuvre dite «du parachute», qui luipermet de recouvrir un crabe en arrivant par le haut. Quand les bras sont déployés en séquence, le secondmène généralement la danse, comme l’index d’une main humaine. Si nécessaire, il sollicite l’aide du premier,ou du troisième bras du même côté de l’animal.

Une grande rapidité d’exécution»

De manière étonnante, les mouvements de l’oeil gauche sont associés à ceux des bras de gauche, de mêmepour le droit. Chaque moitié de l’animal peut ainsi fonctionner de manière indépendante, avec une visionmonoculaire. Cette autonomie relative s’étend aux mouvements des bras : l’attaque est bien lancée par lecerveau du poulpe mais, par la suite, l’extrémité du bras et ses ventouses n’attendent pas les ordres dusystème nerveux central ; dès qu’une ventouse touche la proie, elle déclenche les mouvements coordonnésdes ventouses voisines.

Pour Thomas Lacoue-Labarthe et Christelle Jozet-Alves, spécialistes des céphalopodes au CNRS et àl’université de Caen, «cette étude montre que le comportement des poulpes n’est pas stéréotypé ; il s’adapte auxcapacités de fuite de leurs proies. Les associations de bras voisins permettent une grande rapidité d’exécution,sans allers-retours avec le cerveau. Cette simplification est peut-être la clé du succès phénoménal des poulpes».

(1) Bidel, F., Bennett, N. C., & Wardill, T. J. (2022). Octopus bimaculoides’arm recruitment and use duringvisually evoked prey capture. Current Biology.
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