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Île était une fois la biodiversité

Île était une fois la biodiversité

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. Aujourd’hui, le fragile équilibre écologique des îles.

Le volcan Sakurajima, l’un des volcans les plus actifs au monde. Il est situé dans le sud de l’île de Kyushu. (Yiming Chen/Getty Images)

La COP15 biodiversité s’achève en demi-teinte. Au lieu de faire décoller des avions pour Montréal, les Nations unies auraient pu larguer quelques décideurs et décideuses en pleine nature, préférablement sur une île. Loin des hôtels de luxe, avec un couteau et un récupérateur d’eau de pluie pour seul bagage, ces personnes auraient pu méditer sur la finitude des ressources planétaires et la vulnérabilité des milieux insulaires.

Interdépendances écologiques

Les petites îles sont des mini-planètes, qui incitent leurs habitants à la plus grande prudence quant à la gestion des espaces naturels. Dans ces milieux fragiles, la mer est mariée avec la terre (1), au fil des bassins-versants. A Hawaï, les sociétés traditionnelles les nomment «ahupua’a», avec à leur sommet une montagne ancrée dans les nuages porteurs d’eau. Ces forêts des hauteurs sont taboues ; elles protègent les habitations des basses terres des glissements de terrain et abreuvent les cultures. Plus proches des lagunes, les forêts côtières fixent le littoral face aux tempêtes. Au large, les écosystèmes marins bénéficient de la présence des îles : quand les courants marins percutent ces obstacles géologiques, ils sont déviés et propulsent les sels minéraux des profondeurs vers la surface, stimulant la croissance du plancton et toute une chaîne alimentaire.

Mais ces interdépendances écologiques vont aussi de la mer vers la terre, comme nous le rappelle une publication récente (2) mené par Stuart A. Sandin de l’Université de Californie à San Diego et Penny A. Becker de l’ONG Island Conservation à Santa Cruz. Les îles en bonne santé écologique abritent de grandes colonies d’oiseaux marins, dont les fientes fertilisent les terres. Cet apport est essentiel sur les îles volcaniques du Pacifique dont les sols sont naturellement pauvres.

Emporté par les cours d’eau dans les lagons, le guano des oiseaux favorise même la productivité des récifs, et toute une communauté de poissons qui alimente les pêches de subsistance. Dans bien des îles, les oiseaux marins ont malheureusement disparu, là où rats, chats et autres espèces invasives ont été introduits par les humains. En leur absence et après la déforestation les sols s’érodent, la végétation disparaît, les lagunes et récifs s’appauvrissent.

Grande concentration d’oiseaux

Les louables efforts de préservation de la biodiversité séparent trop souvent les milieux terrestres et marins, oubliant qu’ils ne font qu’un dans les régions côtières, notamment en milieu insulaire. A titre d’exemple, la réserve naturelle nationale des Sept-Iles en Bretagne est presque exclusivement terrestre, alors qu’elle abrite la plus grande concentration d’oiseaux marins nicheurs de France métropolitaine. En 2023, après une décennie de travail des gestionnaires de l’environnement et des communautés locales, elle sera peut-être enfin dotée d’une extension marine offrant gîte et couvert aux oiseaux et à toute une biodiversité locale.

Comme l’indiquent Stuart A. Sandin, Penny A. Becker et leurs collègues, «en nous unissant pour restaurer, réensauvager et protéger les écosystèmes insulaires et océaniques, nous pourrons mieux faire face aux grands problèmes écologiques de notre époque. Une gestion intégrée de l’interface terre-mer nous aidera à construire des communautés insulaires et côtières plus prospères et économiquement résilientes».

(1) Hatakeyama Shigeatsu La Forêt amante de la mer. Editions Wildproject, 2019
(2) Sandin, S. A., Becker, P. A., et al. (2022). Harnessing Island – Ocean Connections to Maximize Marine Benefits of Island Conservation. Proceedings of the National Academy of Sciences, 119 (51)

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