Haro sur l’arrosage des arbres en ville ?

Haro sur l’arrosage des arbres en ville ?

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. Aujourd’hui, l’irrigation des arbres par fortes chaleurs.

A Grenoble en 2014. (Pablo Chignard /Libération)

Comme l’aurait chanté Georges Brassens : «J’ai le plus bel amandier du quartier, et pour la bouche gourmande des écureuils de Montpellier, j’fais pousser des amandes, le beau le joli métier.» Mais après la canicule estivale désormais rituelle, l’hiver avance sans pluie. Je crains pour la santé du grand arbre, dont une branche basse m’apparaît sans vie. Allons-nous bientôt devoir irriguer les arbres urbains, afin qu’ils puissent survivre, nous ravir de leurs frondaisons et atténuer quelque peu les fournaises estivales ?

La pratique est d’ores et déjà courante en Californie, région de tous les excès au climat similaire à celui de nos régions méditerranéennes. Mais comment réagit un arbre d’une région aride quand il reçoit de l’eau toute l’année ? Peter Ibsen de l’université de Californie à Riverside et ses collègues ont étudié la question à Los Angeles, mégapole infernale mais non dénuée d’arbres (1). Ils ont sélectionné 30 espèces locales ou importées des quatre coins du monde, désormais les plus plantées dans les rues de la région. Parmi elles, le chêne de Californie, le sycomore, le micocoulier, l’orme de Chine, le jacaranda, l’eucalyptus ou le frêne tropical.

Avec l’aide des naturalistes de chaque quartier, les chercheurs ont identifié 363 spécimens de ces 30 espèces, tous irrigués, et leur ont rendu visite à de multiples reprises. Ils se sont intéressés aux caractéristiques des feuilles et du tronc des arbres, indicatrices des flux d’eau au sein de ces organismes vivants. Ils ont notamment mesuré la taille et l’épaisseur des feuilles, ainsi que la taille et la densité de leurs stomates, les pores minuscules qui permettent aux plantes de respirer. Les scientifiques ont également mesuré la pression nécessaire à la circulation des fluides dans les feuilles. A cet effet, ils ont utilisé un procédé inventé dès 1721 par Stephen Hales, prêtre anglican et néanmoins physiologiste génial : la feuille est enfermée dans un bocal, sa queue traversant un couvercle étanche. Le volume intérieur est mis graduellement sous pression, jusqu’à ce qu’une goutte de sève perle à l’extrémité de la queue restée à l’air libre. Plus cette pression critique est élevée, plus l’eau peinera à circuler dans les feuilles.

Les informations collectées pour des milliers de feuilles ont été comparées avec des mesures effectuées de la même manière et sur les mêmes espèces d’arbres non irriguées dans leurs habitats d’origine : à l’exception des ficus, toutes ont augmenté leurs flux d’eau de manière significative quand elles en avaient la possibilité. Chez six d’entre elles ce flux a plus que doublé. Au contraire des arbres des déserts, les spécimens irrigués ont continué à pousser et à fixer le carbone de l’atmosphère, même quand ils étaient soumis à de fortes chaleurs.

«Ces résultats ont été obtenus même pour des espèces d’arbres qui ne connaissent pas naturellement la chaleur extrême et les conditions arides que l’on trouve dans le désert, commente Peter Ibsen. En irriguant les arbres des villes surchauffées de la planète, nous sommes en train de créer des variétés accros à l’arrosage, sans savoir si cela augmente leurs chances de survie pendant les canicules.»

Rien n’est moins sûr. Comme nous l’explique Xavier Morin, du CNRS : «En cas de chaleur soudaine, l’abondant feuillage des arbres irrigués dissipe tellement d’eau que leur système vasculaire s’effondre ; c’est la très redoutée cavitation, qui entraîne la mort de l’arbre.»

(1) Ibsen, P. C., Santiago, L. S., Shiflett, S. A., Chandler, M. & Jenerette, G. D. (2023). «Irrigated Urban Trees Exhibit Greater Functional Trait Plasticity Compared to Natural Stands». Biology Letters, 19 (1).

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