Guerre des pêcheurs : l’univers marin première victime

Guerre des pêcheurs : l’univers marin première victime

par David Grémillet, directeur au Centre d’études biologiques de Chizé

Chaque semaine sur notre site, « l’Albatros hurleur », une chronique écologique de David Grémillet. Aujourd’hui, retour sur la gestion européenne des pêches.

Comme le démontrent les efforts de certaines pêcheries côtières artisanales, en Manche et sur la façade Atlantique, seule cette notion d’appartenance et de responsabilité permet de sauver les ressources marines. Ici, le chalutier «Marie-Catherine», en février 2019, dans la Manche. (Albert Facelly/Libération)

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«Les Anglais viennent de fusiller un marin français qui pêchait sur les eaux anglaises», écrit l’artiste peintre et une collectionneuse Julie Manet le 15 août 1899 dans son journal (1). Un siècle plus tard, la crise franco-britannique nous renvoie à une lutte ancestrale, celle de l’accès aux ressources marines. Ne nous trompons pas, le duel Macron-Johnson tient de la posture : chaque chef d’Etat vise à asseoir son autorité en période préélectorale, bien plus qu’à œuvrer pour une meilleure gestion des océans.

Mais prenons un instant la perspective du poisson européen, vivra-t-il mieux sous la houlette de Bruxelles, ou dans un état frondeur tel que le Royaume-Uni ? Difficile de le savoir à l’heure actuelle. Si les autorités britanniques écoutent leurs scientifiques, parmi eux les meilleurs écologues de la planète, le Brexit pourrait déboucher rapidement sur des pêcheries beaucoup plus durables et respectueuses de l’environnement. En effet, on sait ce qu’il faut faire pour reconstituer les populations de poissons à l’échelle de quelques années. Hors Union européenne, c’est ce qui a été fait en Norvège, où le gouvernement a misé avec succès sur une approche résolument scientifique des pêcheries – par ailleurs favorisées par le réchauffement climatique qui dope la productivité des mers nordiques. A contrario, si les lobbys britanniques de la pêche industrielle gagnent la partie, la filière sombrera inexorablement, à grands coups de filets, jusqu’au dernier poisson.

Chérir, protéger et exploiter durablement les écosystèmes

Côté européen, la machine administrative semble championne du consensus mou avec des quotas souvent trop élevés, et s’entête à maintenir le principe d’un gasoil détaxé, ce qui est une manière de subventionner allégrement les plus gros bateaux, et tout particulièrement les chalutiers, grands destructeurs des fonds marins. Cependant, comme le rappelle le biologiste des pêches Didier Gascuel, «les quotas de pêche européens sont le fruit de négociations complexes, qui conservent néanmoins un minimum de visibilité pour les ONG et le public. Celle-ci disparaît totalement à partir du moment où le gouvernement britannique fait cavalier seul». Même imparfaites, les politiques européennes sont un ultime garde-fou, comme quand elles rappellent très fermement à la France l’inadéquation de ses pratiques de pêche qui tuent des milliers de dauphins chaque année dans le golfe de Gascogne.

 

Alors que les puissants de ce monde s’affrontent à coups de poissons, dans une mêlée qui n’est pas sans rappeler le village gaulois préféré des Français, envisageons d’autres possibles : les écosystèmes marins ne sont plus une commodité que l’on pille chez les voisins, ou derrière l’horizon, au large des pays du Sud, mais un jardin bleu que des riverains chérissent, protègent et exploitent durablement.

Comme le démontrent les efforts de certaines pêcheries côtières artisanales, en Manche et sur la façade Atlantique, seule cette notion d’appartenance et de responsabilité permet de sauver les ressources marines. «Si les pêcheurs à la coquille Saint-Jacques en baie de Seine se restreignent pour protéger les ressources locales, il est tout à fait justifié qu’ils s’insurgent contre les razzias des voisins d’en face», conclu Didier Gascuel.

 
(1) Le Temps retrouvé. Journal 1893-1899. Julie Manet. Mercure de France 2017.
David Grémillet est Directeur de recherche au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CNRS-La Rochelle Université). Chaire d’excellence Nouvelle-Aquitaine. Dernier ouvrage paru : les Manchots de Mandela et autres récits océaniques (Actes Sud).
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