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Entre les habitations, les pumas font patte de velours

Entre les habitations, les pumas font patte de velours

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’études biologiques de Chizé

Les pumas sont devenus de plus en plus nocturnes afin d’éviter les coups de fusil, et leurs cheminements furtifs sont chamboulés. (Mountain Lion/(c) Minden Pictures / Sebastian Kennerknecht / Biosphoto)

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Les pumas sont devenus de plus en plus nocturnes afin d’éviter les coups de fusil, et leurs cheminements furtifs sont chamboulés. (Mountain Lion/(c) Minden Pictures / Sebastian Kennerknecht / Biosphoto)

Mais où sont passés tous les animaux? Me voici depuis presque deux ans en milieu rural, dans le sud des Deux-Sèvres. La campagne demeure désespérément vide. J’admets ne pas être un naturaliste acharné, ni un randonneur nocturne, mais maintes promenades en fin de journée n’ont révélé que quelques chevreuils, un renard, un blaireau, une fouine et un loir. L’hiver, notre mangeoire champêtre est colonisée par une demi-douzaine d’espèces d’oiseaux, alors que notre jardin urbain d’une vie antérieure était visité par une vingtaine de créatures à plumes, y compris des geais qui répondaient volontiers à nos sifflements au petit-déjeuner.

«Le sauvage, c’est ce qui se cache», m’avait lancé un ami il y a quelques décennies. Effectivement, dans un monde colonisé par les humains, les mammifères se déplacent deux à trois fois moins dans les zones anthropisées que dans les espaces naturels (1). La faune est aussi devenue de plus en plus nocturne afin d’éviter les coups de fusil, et ses cheminements furtifs sont chamboulés.

Gros chats aux colliers GPS

C’est ce que montre une étude récente sur les pumas, menée par l’université de Californie à Santa Cruz (2). Les chercheurs ont équipé les grands félins de colliers GPS permettant de suivre leurs mouvements avec précision. Ces appareils contenaient également des accéléromètres, du même modèle que ceux qui comptent nos pas dans les smartphones. Mes collègues californiens ont ainsi estimé la dépense énergétique des pumas en fonction de leurs mouvements. De manière étonnante, ces carnivores, que nous imaginons suprêmement agiles, préfèrent les terrains dégagés et peu pentus, qui leur permettent de se déplacer à peu de frais sur leur vaste territoire.

 

Seconde surprise : quand les pumas s’approchent des zones habitées, leurs mouvements sont plus rapides, plus sinueux, moins coordonnés. Les pumas fébriles sont-ils sur la piste de leur dîner ? C’est peu probable, car des recensements des proies favorites des gros chats, les cerfs à queue noire, montrent qu’ils ne sont pas plus nombreux proches des lotissements. Au contraire, presque trois quarts des captures de cerfs par les pumas se déroulent dans les zones les plus reculées de la région.

Les zigzags et les tressaillements des pumas à proximité des maisons semblent donc trahir leur anxiété. Cette tension nerveuse augmente leur dépense énergétique de 13 % par rapport à un déplacement dans une zone inhabitée, et les animaux réduisent les distances parcourues de moitié. Cette timidité à l’égard des humains est particulièrement marquée chez les pumas mâles : alors qu’ils patrouillent normalement des territoires de plus de 200 km², ceux-ci rétrécissent de 78 % près des habitations. Pour Nicolas Courbin, spécialiste de l’écologie du déplacement au CNRS : «Cette étude est particulièrement solide et bien menée. Reste à savoir dans quelle mesure les effets observés affectent la viabilité des populations de pumas.»

 

Avec une présence de plus en plus prégnante à l’échelle de la planète, les humains créent un «paysage de la peur» qui transforme l’écologie des animaux sauvages, même les plus féroces comme les pumas.

(1) Tucker, M. A. et al. (2018). Moving in the Anthropocene : Global reductions in terrestrial mammalian movements. Science, 359 (6374), 466-469.
(2) Nickel, B. A., Suraci, J. P., Nisi, A. C., & Wilmers, C. C. (2021). Energetics and fear of humans constrain the spatial ecology of pumas. Proceedings of the National Academy of Sciences, 118 (5), 1-8.
David Grémillet est directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé (CNRS-La Rochelle université) Chaire d’Excellence Nouvelle Aquitaine.
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