Des haut-parleurs sous-marins pour faire revivre les huîtres

Des haut-parleurs sous-marins pour faire revivre les huîtres

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. Aujourd’hui, au large d’Adélaïde, des chercheurs tentent de reconstituer les récifs d’huîtres sauvages détruits.

Plongée en Méditerranée au large de la côte languedocienne. La visibilité est faible en surface, le courant puissant. Nous descendons prudemment le long du mouillage. Par 12 mètres de fond les flots s’apaisent comme par miracle, dévoilant des enrochements tapissés de gorgones sous lesquels nous admirons des éponges encroûtantes orange rouge et des langoustes. Le spectacle est aussi auditif : le récif et ses habitants diffusent une symphonie de crépitements et de craquements : les poissons broutent et pètent, les crevettes et les coquillages jouent des castagnettes.

Nous sommes dans une Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) protégée du chalutage. Le paysage sonore sous-marin témoigne d’une biodiversité étonnamment riche le long de cette côte marquée par les activités humaines. Depuis longtemps déjà, les scientifiques savent que cette signature acoustique peut être utilisée afin de comparer les états de santé de récifs au sein d’une même région. Plus récemment, une série d’études australiennes donne une dimension nouvelle et fascinante à cette branche de l’écologie marine.

Course contre les algues

Au large d’Adélaïde en Australie méridionale, les autorités locales se sont lancées dans une gigantesque entreprise de restauration écologique : il s’agit de reconstituer les récifs d’huîtres sauvages détruits par les excès du passé. Pour cela, des structures immergées sont offertes aux huîtres, mais bien souvent elles sont recouvertes par les algues vertes avant que les petites huîtres ne parviennent à se fixer. En effet, les jeunes huîtres issues des pontes vivent tout d’abord en eau libre, avant de s’établir sur le récif de leur choix.

Afin de faciliter cette course contre les algues, Dominic McAfee, Brittany Williams et leurs collègues de l’université d’Adélaïde ont eu l’idée de guider les petites huîtres vers les nouveaux récifs (1). Pour cela, ils ont installé un réseau de haut-parleurs sous-marins en périphérie d’une partie des structures immergées. Ces appareils diffusaient en boucle les sons de récifs en bonne santé, collectés dans d’autres zones au lever du jour, quand les espèces tapageuses sont les plus actives. Parmi elles, les crevettes pistolet, qui referment leurs pinces en faisant exploser une bulle d’air.

Je n’aurais personnellement pas misé grand-chose sur cette campagne de matraquage sonore, mais les résultats sont surprenants : dans les zones équipées de haut-parleurs, cinq fois plus de petites huîtres se sont fixées par mètre carré de surface. A moyen terme, les zones sonorisées étaient habitées par des huîtres de plus grande taille contribuant à la stabilité du récif et à la recolonisation par d’autres espèces.

«Les huîtres n’ont pas d’oreilles, mais…»

«Ces récifs à huîtres ont presque été détruits par le chalutage il y a cent cinquante ans, insiste Dominic McAfee, mais la nature est opiniâtre : dans les zones sonorisées, jusqu’à 17 000 petites huîtres se sont fixées par mètre carré.»

Reste à savoir comment les huîtres perçoivent le chant des récifs. Comme me l’explique Lucille Chapuis de l’université de Bristol au Royaume-Uni : «Les huîtres n’ont pas d’oreilles, mais elles perçoivent les sons de basse fréquence grâce à leur statocyste, un organe qui détecte les vibrations et les mouvements. Cela leur permet de s’orienter vers les meilleurs récifs, peut-être aussi d’entendre l’arrivée de la marée qui transporte le plancton dont elles se nourrissent.»

(1) McAfee, D., Williams, B. R., McLeod, L., Reuter, A., Wheaton, Z., & Connell, S. D. (2022). Soundscape enrichment enhances recruitment and habitat building on new oyster reef restorations. Journal of Applied Ecology.

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