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Créez des mares pour sauver les amphibiens !

Créez des mares pour sauver les amphibiens !

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier

Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. Aujourd’hui, des solutions suisses pour enrayer le déclin des batraciens.

Mon ami Oscar est un naturaliste fou. Il explore chaque jour la campagne, pour observer les petits habitants des bois, des champs et des ruisseaux. Son enthousiasme est communicatif, surtout au printemps quand il guette la floraison des fritillaires, liliacées aux pétales en damier pourpre et blanc sur des étamines jaunes, et le retour des huppes fasciées. De nature enjouée, Oscar cache mal son désarroi quand, l’hiver 2021, on abat 50 chênes centenaires dans sa vallée. Il s’inquiète aussi des sécheresses et des crues erratiques, qui malmènent les jeunes salamandres, tantôt à sec, tantôt emportées bien loin des vieux lavoirs qui leur servent de nurseries. Il est vrai que les salamandres, tritons, grenouilles et crapauds paient un lourd tribut aux changements globaux : à la suite des destructions des zones humides, aux pollutions, maladies et autres nuisances, 41 % des amphibiens sont en voie d’extinction selon l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Oscar, j’ai enfin une bonne nouvelle pour toi. Elle provient d’un pays rarement célèbre pour ses grenouilles : la Suisse. Dans le canton d’Argovie, une région vallonnée entre Bâle et Zurich, les amphibiens étaient menacés par l’artificialisation des terres, notamment le drainage des sols pour l’agriculture. Depuis 1991, les autorités, des ONG et des propriétaires fonciers ont construit 422 mares, qui ont renforcé un réseau de 434 petits plans d’eau d’ores et déjà existant. Divers laboratoires, dont l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage et l’Université de Zurich, ont étudié les populations d’amphibiens associées à ces 856 mares. Entre 1999 et 2019, des centaines de naturalistes ont effectué des milliers de relevés et identifié douze espèces d’amphibiens (six grenouilles, quatre tritons et deux crapauds).

Helen Moor, qui a dirigé l’étude, a été impressionnée par les compétences et l’enthousiasme des observateurs de terrain. «Leur travail bénévole a généré le fantastique ensemble de données qui nous a permis de tester l’effet de la construction des étangs.»

Grâce à des analyses statistiques très détaillées, les scientifiques ont identifié une augmentation substantielle des tailles de populations pour dix des douze espèces étudiées, alors que la plupart déclinaient inexorablement avant la mise en place des nouvelles mares. De plus, les zones pourvues du plus grand nombre de nouveaux étangs sont celles dans lesquelles les populations locales d’amphibiens ont le plus augmenté ou le moins décliné, en fonction des espèces. En effet, les nouvelles mares étendent les zones de reproduction aquatiques des amphibiens et complètent une «trame bleue» qui permet aux espèces de recoloniser leurs habitats historiques. Les nouvelles mares doivent être installées loin des routes et proches des forêts, afin d’offrir un milieu de vie propice aux adultes. Néanmoins, comme le pointent les auteurs de l’étude «aucun effort n’est vain» car mêmes les mares les moins bien placées ont des effets bénéfiques pour certaines espèces.

Pour Hugo Cayuela, chercheur au Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (sous tutelle du CNRS et de l’Université Lyon 1), «le canton d’Argovie en Suisse a démontré qu’une solide volonté politique de restauration environnementale, combinée à l’expertise de chercheurs et de naturalistes, permet d’enrayer localement le déclin du groupe de vertébrés le plus menacé au monde. J’ai la faiblesse d’espérer que cette belle expérience de gestion incitera les pays voisins à engager des programmes similaires».

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