Climat: libellules et demoiselles souffrent aussi des fortes chaleurs

Climat: libellules et demoiselles souffrent aussi des fortes chaleurs

par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier.

Chaque semaine sur notre site, « l’Albatros hurleur », une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. Aujourd’hui, l’impact du réchauffement climatique sur les libellules et les demoiselles.

La canicule estivale n’en finit pas et toute la nature souffre. La végétation roussit sous le soleil, les arbres et les animaux meurent de soif. Mammifères et oiseaux sont particulièrement affectés car ils tentent de maintenir une température interne stable ; aux alentours de 37°C pour les humains, et de 40°C pour les oiseaux. Ils sont pour cela dotés d’un système de climatisation corporelle basé sur la transpiration et le halètement, très efficace mais gourmand en énergie et en eau. Au contraire, la plupart des poissons, reptiles, amphibiens et invertébrés ont une température corporelle qui tend à suivre celle de l’environnement, et on pourrait penser que les chaleurs caniculaires ne les affectent pas.

Rien de plus faux en ce qui concerne les insectes, comme le démontre un siècle de recherches sur leur physiologie (1). En effet, de nombreuses espèces parmi ces créatures à six pattes fuient les températures trop élevées. C’est le cas des libellules et des demoiselles (2), ces sublimes prédateurs volants, si on en croit une étude récente effectuée dans les Andes colombiennes (3). Au sein du parc national de Tatamá, Cornelio Bota-Sierra (Institut d’écologie de Veracruz, au Mexique) et ses collègues se sont intéressés aux préférences thermiques de 54 espèces de libellules et de demoiselles. La température de cette région tropicale est en moyenne plus élevée et plus stable que celle de pays tempérés comme la France, mais le parc national de Tatamá est très escarpé, permettant aux scientifiques d’étudier les insectes à des altitudes différentes (entre 350 et 2 500 mètres), les plus hautes étant les plus fraîches.

Pour les libellules et les demoiselles de ces différentes zones, les auteurs ont déterminé les températures au-delà desquelles les insectes fuient la source de chaleur, et celles qui les empêchent de voler et de chasser. «Afin de collecter ces informations, j’ai passé bien des mois à crapahuter sur des pentes très raides et boueuses, à traverser des cours d’eau à la recherche des libellules», se souvient Cornelio Bota-Sierra. «Je rentrais parfois complètement rincé, les mains vides.» Ce travail ardu et solitaire, effectué avec un budget minuscule, fut néanmoins fructueux : comme le montrent les expériences, libellules et demoiselles ne volent jamais au-delà de 45°C, et toutes se cachent à 47°C, confirmant leur sensibilité aux canicules. Les insectes des milieux frais, en altitude et dans les forêts, sont néanmoins plus sensibles aux fortes chaleurs que ceux des plaines dénuées d’arbres, indiquant des adaptations locales très prononcées aux conditions climatiques. De plus, les libellules tolèrent beaucoup mieux les températures élevées que les demoiselles. Ceci est probablement dû à leur système circulatoire élaboré, qui leur permet de mieux dissiper les chaleurs caniculaires. Par ailleurs, les femelles continuent de chasser sous un soleil de plomb, peut-être pour emmagasiner des réserves nécessaires à la production des œufs.

Alors que les modèles mathématiques destinés à prévoir le futur des populations d’insectes se basent sur des relations simples entre le réchauffement climatique et la présence des espèces dans différentes zones, ces travaux soulignent toute la complexité des réponses du vivant aux changements globaux. Comme le note Sylvain Pincebourde (CNRS) de l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte «Au-delà des réactions des insectes au réchauffement, on peine à prévoir comment leurs milieux de vie dans les plaines, les montagnes, sous les arbres, vont eux-mêmes réagir aux changements climatiques.»

 

(1) Lire par exemple : Bernd Heinrich (1 979) Bumblebee Economics. Harvard University Press, Cambridge, MA.
(2) Les demoiselles sont plus graciles que les libellules, et leurs ailes sont repliées au repos alors que celles des libellules restent étendues.
(3) Bota‐Sierra, C. A., García‐Robledo, C., Escobar, F., Novelo‐Gutiérrez, R., & Londoño, G. A. (2022). Environment, taxonomy and morphology constrain insect thermal physiology along tropical mountains. Functional Ecology, 36 (8), 1924-1935.
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