par Sarah Finger, correspondante à Montpellier
La troisième édition d’«Agir pour le Vivant» s’est tenue à Arles du 22 au 28 août. Enraciné dans le vaste champ des enjeux climatiques et environnementaux, l’événement confirme son ambition : montrer la voie des possibles.
Une zone de la Loire à sec, le 17 juillet à Ancenis (Loire-Atlantique). (Loïc Venance/AFP)
«En trois ans, le monde a changé.» D’emblée, le constat est posé : depuis la première édition d’Agir pour le Vivant, en août 2020, la sinistre trajectoire de la planète ne s’est guère redressée. En France, les drames de l’été – sécheresse, incendies – n’ont que trop bien illustré les bouleversements liés au dérèglement climatique. Est-ce ici, à Arles, que peuvent s’entrouvrir des portes menant à un monde plus apaisé ? A la tribune, dans l’auditoire, tous partagent le même impérieux désir : agir d’urgence.
Depuis trois ans, au creux de l’été, Arles vit durant une semaine au rythme d’«Agir pour le Vivant». Porté par les éditions Actes Sud et l’agence Comuna, cet événement soutenu par de nombreux partenaires publics et privés (dont Libération) multiplie les rendez-vous aux quatre coins de la ville. Des débats, projections, ateliers, conférences, résidences et des dizaines d’intervenants jettent des ponts entre les convictions et les continents. En trois ans, «Agir pour le Vivant» est parvenu à tisser un réseau de partenaires, à relier des compétences, à réunir des solidarités, à renforcer des engagements. Dans cette ville grande comme un confetti, experts, témoins ou militants partagent leurs expériences et imaginent des solutions. Tandis que l’homme se tient à la croisée des chemins, un carrefour des luttes s’est construit à Arles.
La sève se mêle au sang
Mais personne ici n’oublie que chaque jour le ciel s’assombrit. Marie Toussaint, eurodéputée écologiste et fondatrice de «Notre affaire à tous», rappelle dès l’ouverture de l’événement que notre temps est compté : «A l’heure où l’eau de pluie a été déclarée impropre à la consommation partout sur la planète, nous vivons un moment charnière, assène la militante. Ce lundi 22 août, selon le dernier rapport du Giec, il nous reste 948 jours pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre si nous souhaitons conserver une planète habitable.» Achille Mbembe, philosophe et professeur à l’université du Witwatersrand de Johannesburg, pointe l’acidification des sols, la baisse des ressources en eau, les menaces qui pèsent sur la rentabilité des cultures, voire la capacité humaine à supporter des climats devenus trop extrêmes pour notre corps.
Chargée de plaidoyer de l’ONG Enda Energie, Aïssatou Diouf dresse les mêmes constats. Elle évoque des communautés africaines «qui travaillent à des températures atteignant 45°C, voire 47°C toute l’année, jusqu’à 50°C au Tchad». Selon cette militante sénégalaise, l’Afrique, «responsable de moins de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre», expérimente «le pire du changement climatique», ce «démultiplicateur des inégalités». Aïssatou Diouf y voit «un prolongement de la colonisation», car dans sa course à l’exploitation du gaz et du pétrole, l’Occident imposerait ses choix stratégiques sans consulter les communautés ni s’interroger sur les réels bénéfices pour l’Afrique.
D’autres sombres échos parviennent à Arles du fin fond de l’Amazonie, où la terre-mère des peuples autochtones voit ses enfants mourir pour la défendre. Un des «gardiens de la forêt» est venu témoigner du combat contre les coupeurs de bois ; lors de violents affrontements, la sève se mêle au sang. Tué en 2019 à l’âge de 26 ans, Paulo Paulino Guajajara expliquait dans une courte vidéo qu’il n’avait pas peur, qu’il se battait pour son peuple, pour son fils, que tous avaient besoin de la forêt. «Sinon, disait-il, comment vivra-t-on ?»
«Rencontrer une autre façon de penser»
Face à des experts ou des militants venus de loin pour décrypter ou témoigner, des Occidentaux racontent leur soif d’apprendre, de s’ouvrir, d’agir. De retrouver des traces anciennes, d’écouter les enseignements d’autres peuples, de réentendre la voix d’une sagesse oubliée. Selon les mots de Françoise Nyssen, présidente du directoire des éditions Actes Sud, «Agir pour le Vivant» permet de «rencontrer une autre façon de penser». Dans cette grande marmite, les bonnes volontés bouillonnent d’idées et chacun est invité à mettre son grain de sel.
Eric Julien, fondateur de l’Ecole pratique de la nature et des savoirs, illustre cet échange d’énergies avec son projet mené dans la Drôme, dans la zone isolée du Diois. Là, il a accueilli quatre chamans du peuple Kogi venus de Colombie. Accompagnés de scientifiques, les sages sont partis en montagne pour «ouvrir un dialogue avec la terre» et écouter ses malaises. Sans connaître l’histoire locale, les chamans ont pointé un déséquilibre lié à une reforestation plaquée d’autorité sur le territoire, sans réflexion globale. Pour Eric Julien, un tel dialogue entre chamans et scientifiques permet de «réconcilier les regards», de nous «ramener l’inspiration.» Mais quand prendrons-nous le temps «d’écouter ce que les arbres ont à nous dire ?» s’interroge Marie Toussaint. Peut-être, répond l’eurodéputée, quand nous en aurons fini «avec la seule prise en compte de l’intérêt humain».